ASSISTANCE LINGUISTIQUE À L’HÔPITAL
La traduction et l’interprétation en milieu hospitalier comme garantie des droits fondamentaux ?
Anne Leudet
Membre du CERIJE
Doctorante en linguistique, Université de Poitiers
Comment assurer la qualité des soins et préserver le droit à l’information du patient, obligation légale et déontologique qui s’impose au médecin, lorsque le patient ne maîtrise pas ou peu la langue française ? En l’absence d'obligations juridiques, tant aux niveaux européen que national[1], consacrant le droit de pouvoir bénéficier gratuitement d’une assistance linguistique pour le patient hospitalisé ne maîtrisant pas la langue française, il est très difficile pour les établissements hospitaliers français d’assurer la qualité des soins lors de la prise en charge de ce patient. De son côté, comment le patient allophone[2] peut-il donner son consentement aux soins proposés[3] alors qu’il n’est pas en situation d’en mesurer la portée en raison de la barrière linguistique ? Celle-ci constitue sans nul doute un obstacle à la préservation des droits fondamentaux de ce patient, tel que le droit d’accès aux soins de santé, et un frein à sa prise en charge effective.
L’assistance linguistique, si elle ne constitue pas une obligation légale[4], n’en est donc pas moins un instrument indispensable pour assurer le bon fonctionnement de l’hôpital. Quant à sa mise œuvre, elle soulève de nombreuses questions, sur lesquelles le Cerije engage une recherche :
(i) Qui assure cette prestation ? Interprètes et/ou traducteurs professionnels, associations spécialisées dans l'accompagnement des personnes étrangères, proches ou connaissances du patient servant d’interprète « de fortune », référents linguistiques internes à l'hôpital (liste de personnel bilingue), médiatrices interculturelles (comme à l’hôpital Robert Debré) ?
(ii) Quelles sont les missions de l’interprète en milieu hospitalier ? Se limitent-t-elles à un rôle d’intermédiaire linguistique ou bien s’étendent-elles à un rôle de médiateur social[5], comme dans le cas des médiatrices interculturelles[6] ?
(iii) Qui finance la prestation d’assistance linguistique ? Si l’on exclut le cas des associations dont les prestations sont le plus souvent gratuites, la prise en charge de l’assistance linguistique doit-elle être assurée par l’établissement hospitalier, donc par l’État, ou bien par le patient lui-même ?
Pas plus qu’en matière d’interprétariat, la traduction médicale n’a fait l’objet de disposition législative en droit interne ou européen. A l’heure actuelle, seule la charte de la personne hospitalisée, annexée au livret d’accueil qui doit être remis au patient lors de son admission[7], est disponible en français, en anglais et en braille dans sa version intégrale. Son résumé est quant à lui disponible en sept langues : l’anglais, l’allemand, l’espagnol, l’italien, le portugais, le chinois et l’arabe.
Exemple d'assistance linguistique mise en place par le Centre Hospitalier Universitaire de Poitiers.
Le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Poitiers a mis en place une politique d’accompagnement, qui peut être actionnée soit par un professionnel de l’établissement, soit par le patient lui-même[8].En effet, les professionnels qui accueillent ou délivrent des soins au patient ont la possibilité, s’ils le jugent opportun, de faire une demande d’interprétariat auprès du cadre de santé du service concerné.
Le patient peut également à tout moment en faire la demande auprès du cadre de santé ou auprès de la Direction usagers risques qualité[9].
Pour une prestation optimale et adaptée aux problématiques médicales, il a été mis en place un système d’interprétariat fondé sur le bénévolat au sein du personnel médical. En effet, le CHU a sollicité auprès des membres du personnel ayant les compétences linguistiques nécessaires leur accord pour intervenir en qualité d’interprète. En cas de besoin, la Direction usagers risques qualité peut également rechercher des bénévoles dans les structures partenaires, telles que les écoles paramédicales. A ce jour, le CHU dispose de seize bénévoles parlant dix langues différentes.
Dans le cas où les interprètes bénévoles sont insuffisants, des interprètes rémunérés ont également été recrutés. Sont privilégiés les interprètes assermentés ou/et ayant une formation universitaire, leurs compétences linguistiques sont vérifiées par des tests et mises en situation. Ces interprètes sont soumis aux principes de confidentialité, neutralité et de fidélité. Aujourd’hui, le CHU dispose de dix interprètes rémunérés parlant six langues différentes (notamment des pays de l’Est de l’Europe et d’Afrique). Cependant, le système favorisé reste l’interprétariat par un proche du patient, mais cela ne peut être mis en place qu’avec son accord et reste limité par la spécificité du vocabulaire médical.
Afin d’accompagner au mieux les patients, certains services ont mis à leur disposition des fiches d’information générale dans différentes langues dont certaines sont affichées dans les couloirs mêmes du service concerné, rendant ainsi l'information médicale plus accessible.
Il est à noter que le site internet du CHU présente les principes généraux de la charte du patient hospitalisé en langue française et que les résumés en langues étrangères ne sont pas accessibles directement à partir du site de l’hôpital[10].
Cet article a été mis en ligne le 12 septembre 2013. Tous droits réservés ©
[1] La santé demeure en principe de compétence nationale, c’est-à-dire que l’Union européenne n’intervient que pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres (Article 6 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne).
[2] L’adjectif « allophone » se réfère à une personne dont la langue maternelle n'est pas celle de la communauté dans laquelle elle se trouve (définition du Petit Larousse)
[3] L’article 35 du Code de déontologie médicale dispose que « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de sa maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension… »
[4] La charte du patient hospitalisé est annexée à la circulaire ministérielle n° 95-22 du 6 mai 1995, relative aux droits des patients hospitalisés qui indique que « À l'égard des difficultés de nature linguistique, le recours à des interprètes ou à des associations spécialisées dans les actions d'accompagnement des populations immigrées sera recherché ».
[5] Les missions de l’interprète en milieu médical peuvent aller au-delà de l'assistance linguistique stricto sensu pour s’étendre par exemple à l’accompagnement des patients dans l’accomplissement de leurs démarches administratives. Voir le programme du diplôme universitaire Interprète-Médiateur social et médical de l’Université Paris Diderot.
[6] Voir le site de l’hôpital : www.robertdebre.aphp.fr/wp-content/blogs.dir/23/files/2013/01/livret-accueil-robert_debre.pdf
[7] Article L 1112-2 du Code de la santé publique, complété par l’arrêté ministériel du 15 avril 2008 relatif au contenu du livret d’accueil des établissements de santé
[8] Le livret d’accueil du patient, disponible en ligne sur le site de l’hôpital www.chu-poitiers.fr indique qu’il est possible de bénéficier de l’assistance d’un interprète en s’adressant au cadre de santé du service dans lequel le patient non francophone est hospitalisé.
[9] Pour faciliter la démarche, le nom et les coordonnées des interprètes ont été réunis sur une liste dans l’Intranet du CHU (informations fournies par la Direction usagers risques qualité du CHU)
[10] Un renvoi est fait au site www.sante.gouv.fr mais aucune mention n’est faite des résumés en langues étrangères disponibles.